Saint Gonéry, auquel la chapelle est dédiée, ermite venu au VI ème siècle de (Grande)-Bretagne, faisait partie de ce flot d'immigration "bretonne" vers notre péninsule "armoricaine" (100 000 immigrés pour 200 000 autochtones) qui commença dès le V ème siècle sous la pression des invasions des Saxons, Angles, Pictes, et peut-être aussi de la surpopulation des îles britanniques. L'analyse linguistique montre que les immigrés étaient issus principalement de Cornouailles, de Domnonnée (Devon) et du Pays de Galles.
Gonéry était accompagné de sa famille et de disciples dont Gildas, Tudy, Efflam, Suliau, Briac, Maudez, Tugdual… La tradition rapporte qu'ils étaient 72 et que Tugdual (premier évêque de Tréguier) était un cousin de Gonéry. Les "Vies" de ces différents saints, telles qu'elles nous sont rapportées ne confirment pas cette primauté de Saint Gonéry !
En quittant leur pays, les compagnons auraient trouvé une nef qui les attendait sur le rivage.
Ramant avec des fétus de paille, ils auraient abordé la côte d'Armorique "en l'lsle de Kermorvan, devant le Conquet, paroisse de Plou-Moger, en Léon", où leur embarcation, une auge en pierre, aurait disparu de manière aussi mystérieuse qu'elle était apparue, ce qui leur aurait fait penser qu'ils avaient bénéficié d'une singulière faveur du ciel.
Cette légende de l'auge de pierre comporte toutefois sa part de réalité : les navires de l'époque, des coracles*, étaient légers car constitués de membrures en bois recouvertes de peaux graissées et l'auge en pierre servait à la fois de lest à ces bateaux sans quille et de foyer pour conserver les braises. Après un atterrage un peu rude, il ne subsistait parfois du bateau que l'auge…
Les compagnons s'établirent entre l'embouchure de la rivière de Tréguier et l'anse de Port Blanc, avec un chef qui, bien que breton (d'outre-manche) portait un nom de forme romaine (Crescentius), bretonnisé en Creskent ou Crescant. La petite peuplade (plou en breton, du latin plebs, dans son sens population locale ) donna ainsi au territoire un nom qui, au fil des siècles, devint Plougrescant. La mère de Gonéry, Eliboubanne, s'établit à proximité, sur l'île Loaven.
Mais Gonery, poussé par une exigence d'ascétisme et de solitude, gagna l'intérieur de l'Armorique qui, à l'époque, était couverte de forêts difficiles à pénétrer. Arrivé entre les rivières du Blavet et de l'Out, sur un territoire appelé Branguili, situé près de Pontivy, il défricha un quartier de forêt et installa un modeste ermitage. Il découvrit à proximité un clan d'autochtones Armoricains idolâtres auxquels il entreprit d'enseigner l'Evangile. Un jour, trop absorbé par ses prières, il ne répondit pas au salut d'Alvant, le chef païen du lieu. Ce dernier, vexé, fit administrer par ses hommes, une sévère correction à notre ermite, le laissant pour mort. Ses bourreaux se mirent bientôt à trembler et furent atteint de maux inexplicables. Alvant vint alors demander pardon, ses hommes furent guéris, et lui-même se convertit. Bientôt de nombreux visiteurs vinrent à la porte de l'ermitage pour se recommander aux prières de Gonéry et obtenir la guérison de leurs maladies.
Convertis à la nouvelle foi, de nombreux bretons vinrent s'établir auprès du petit ermitage, poursuivirent le défrichement et créèrent ainsi un nouveau"plou", aujourd'hui Saint Gonnery (56920). Gonéry fut fort affecté par la perte de sa solitude.
C'est à cette période que ses compagnons restés à Plougrescant, ayant retrouvé sa trace, lui demandèrent de revenir. Il accepta considérant qu'il avait mené à bien sa mission d'évangélisation dans la forêt armoricaine.
Plougrescant avait Crescant (Crescentius) pour chef temporel et Gonéry en devint le chef spirituel. Sa mère, âgée et retirée sur l'île verdoyante de Loaven, à quelques centaines de mètres de la côte y menait une vie de piété et d'austérité, si bien que beaucoup la considéraient comme une sainte. Gonéry la visitait souvent et tenait compte de ses conseils pour sa nouvelle mission.
Une église fut construite, le service religieux organisé, et grâce à Gonéry, l'Evangile se propagea à Plougrescant. C'est là qu'il mourut et que l'on retrouva ses reliques, dans une auge de granit, à l'emplacement de la tour-clocher de l'actuelle chapelle.
Notons bien qu'à part le contexte général de l'immigration bretonne, qui de l'Armorique romaine fit la Bretagne médiévale, il ne faut rien rechercher d'historique dans cette légende fixée tardivement. Les premières traces écrites datent du XII ème siècle, six cents ans après les faits et il s'agit plutôt du mythe fondateur d'une petite communauté d'agriculteurs et de pêcheurs. Mettre cette communauté sous le patronage d'un saint illustre, assurait un intermédiaire proche pour communiquer dans sa langue avec un Dieu qui n'entendait que le latin, protégeait de la maladie par ses guérisons et son pèlerinage assurait notoriété et prospérité.
Mais même si les connaissances que nous avons sur la vie de Saint Gonéry ne sont sans doute pas toutes historiques ce qui est vraiment historique c'est que pendant des siècles des milliers de personnes ont vénéré ce saint.
Cette ferveur nous touche et c'est ce qui nous parait le plus important aujourd’hui.
Saint Gonéry, comme sa mère et de nombreux saints bretons de cette époque (VI ème siècle) furent en effet canonisés par la ferveur populaire et bien que Rome ait eu quelques réticences devant la prolifération de ces cultes, le pape Clément IX en 1676, puis Clément X, accordèrent une indulgence plénière à ceux qui visiteraient la chapelle lors de la fête du "saint".
La vénération de saint Gonéry a laissé des traces (chapelle, fontaines) à Plougras, Lanvellec, Locarn et, bien évidemment à Saint Gonnery (Morbihan)
La saint Gonéry se fête le 18 juillet, mais on a pris l'habitude de la célébrer le quatrième dimanche de juillet (grand pardon) et le lundi de Pâques (petit pardon).
Il y a quelques années, les prêtres étant encore assez nombreux, le pardon était une fête à la fois religieuse et profane.
Il y avait une première messe le samedi soir à l'issue de laquelle un feu de joie était allumé (tantad), symbolisant la lumière de la foi de saint Gonéry.
Le dimanche, un prêtre étranger à la paroisse, le "pardonneur", venait présider la cérémonie et prêcher. A la fin de la messe, qui réunissait de très nombreux fidèles venus de la paroisse et des alentours, le chef (crâne) de saint Gonéry, exposé dans une châsse en bronze, était porté par quatre hommes à l'extérieur de la chapelle et les fidèles en procession chantaient des cantiques bretons à la gloire du saint, puis défilaient sous la châsse pour bénéficier des grâces du saint. Le reste de la journée du dimanche était consacré aux jeux traditionnels et à quelques libations...
Jusqu'en 1991, pour la fête des Rogations (trois jours avant l'Ascension), saint Gonéry allait rendre visite à sa mère dans l'île Loaven. Une foule nombreuse suivait la châsse transportée par des pêcheurs jusqu'à l'île où une messe était célébrée devant le petit oratoire de Sainte Eliboubane. L'Association des amis de la chapelle saint Gonéry a retrouvé des traces d'autres reliques, dispersées lors de la Révolution française, où le reliquaire en argent, qui les contenait, fut récupéré pour être fondu en pièces de monnaie.
Note sur les coracles ou curraghs (gaélique) :
Bateaux communs à bien des épopées maritimes de moines celtiques, ces canots de cuir non pontés naviguaient dans toute l’Europe et jusqu’au large de Terre-Neuve et vont, entre le IVème et le VIIIème siècle, accomplir ce qui peut être considéré comme l’une des plus fantastiques épopées de l’histoire maritime.
D'une taille comprise généralement entre 9 à 12 m, ils étaient munis de deux mats à voiles rectangulaires et de rames.
Léger, très manœuvrant à l’aviron, possédant un très faible tirant d’eau et pouvant être réparé facilement et rapidement, le curragh était le bateau de cabotage et d’exploration idéal dans ces mers caractérielles où il est d’ailleurs toujours utilisé, sous une forme réduite: cwrwgl (origine du nom) au pays de Galles et curragh en Irlande. Ce canot est le dernier représentant de l’un des plus vieux types de bateau au monde.
Sa légèreté permettait également de le porter, en particuliers pour franchir un cap plutôt que d'affronter la haute mer : les toponymes "Tarbert", "Talbot", attestés en Grande Bretagne, se rapportent à cette pratique et nous renvoient au nom du sillon de "Talbert".